JOB   En pleine crise intime, Gérard se demande s’il pourra continuer son job. Lequel? Une lecture attentive de TRAPPES, chapitre neuf, vous dévoilera tout de tout. La saga, imaginée par Joël Cerutti et Ludovic Dabray, progresse chaque jour de 5000 signes en 5000 signes.

9.

Pourquoi ne chante-t-on plus « Ramona »?

De la poudre.

Des yeux.

Gérard entre deux.

Son boulot, il le voyait comme ça. La plaque collée sur son casier indiquait : Pierlot, Crisis Conceptor. Tony, son boss le postillonnait à chaque fête de boîte: «Gégé, tu n’es pas un créatif. C’est sûr. L’imagination et toi, ça fait deux. Mais putain ce que tu es bon en réactif. Grâce à toi, on se fait des couilles en platine!»

La société «In Case Of Emergency» se spécialisait dans la com’ en cas de crise. Un scandale financier, une affaire de mœurs, des magouilles politiques ? Who you gonna call ? Les Ghostbusters des fouineurs médiatiques, «In Case Of Emergency», eux-mêmes en personne.

Un cas concret sera bien plus parlant que n’importe quelle digression.

Voici quelques mois, la presse s’était déchaînée contre ce DG, défoncé à la méphrédone. Au volant d’un Hummer, il avait pulvérisé la vitre d’un Starbuck, envoyé trois gosses et quatre adultes aux urgences. Le diagnostic vital était resté au chômage et les sept blessés demeurés au stade de l’incarnation plutôt que de la réincarnation. Ils s’en étaient tirés, quoi ! Il existe des divinités actives qui veillent sur les amateurs de caféines.

Médiatiquement parlant, cela avait été la curie car notre DG dirigeait une importante marque automobile allemande impliquée dans diverses arnaques environnementales. Le plein de totale ! Un truc qui, normalement, laisse une firme sur le carreau, la crédibilité et le capital de sympathie en morceau.

Appelée à la rescousse «In Case Of Emergency» s’était illustrée par un spot choc.

Ne cachant rien des tribulations de son ex DG, elle l’avait suivi, caméra sur épaule, dans ses tribulations avec la justice, son éviction, son bureau vide, avec le slogan : «Il y avait lui. Il y a toujours nous. Avec nos valeurs.» Puis un plan final d’une voiture roulant vers le soleil avec cet ultime panneau : «Des décisions pour un autre futur. Ensemble!»

Campagne à donf sur les réseaux sociaux et les télés, un buzz positif autour d’une société qui sait assumer ses mea et ses culpa. En sept semaines, la courbe déglinguée des actions remontait.

Derrière cette pure «merveille» de cynisme marketing ? Gérard himself, le Grand Détourneur de la Réalité. Grassement payé, il n’en disconvenait pas, avec des conflits moraux autour de son travail. A chaque réveil, de la bile acide remontait le long de son œsophage. Trop écorché de son humanité, il avait l’âme purulente.

Au vu des événements, de sa maladie sans maman et papa, la pratique de Crisis Conceptor avait du plomb dans l’aile. Quand on sort, sans tamis, toutes les vérités, dont la majeure partie pas jolie jolie à entendre, pas dit que le client reste fidèle à l’agence! Gérard héritait de SA crise à gérer. A part une retraite au bord du Brahmapoutre (fleuve au pied de l’Himalaya), habillé d’orange en scandant des mantras, terré au fond d’une humble cahute, il n’entravait pas l’ombre d’une autre solution. Condamné ermite !

– Ouhouh ?

Brigitte agita une main devant son visage.

– Je sais que tu te sens très Apollo 13 et que tu hurles tes problèmes à Houston… (un temps) Gérard, oui, je suis belle, sexy et tu commences à sentir frémir tes choses, pas besoin de le répéter, le penser ou le proférer ! s’amusa Brigitte

– Je…

– Stooop ! Nous sommes de retour dans le hall de cet hôpital, tu te souviens ? Tu as décidé que – Oui, il pourrait y avoir de la levrette la première fois – tu m’écartais de ta vie, comme ça, d’un claquement de doigt. Retour à la case proprette! Tu m’as demandé ce que j’en pensais, moi?

– Gnon…

– Arrête avec ce «gnon» à la con ! Tu n’es pas Simplet des Sept Nains. Non, pas de partouze avec Blanche Neige, Disney n’a pas fait de version pour adultes !

– Je ne crois pas…

– Tu sais que je commence à t’aimer vraiment comme tu es ? Gérard ?

L’inconcevable! Qu’elle le garde, qu’elle ne le recycle pas, qu’elle s’attache, qu’elle se lie, qu’elle se mette la corde au cou! Où était le nœud? Pendu à ses lèvres, Gérard attendit la suite, le crâne étrangement vide.

– Gérard, avec toi, c’est du cash ! Pas de verni, tu es d’une transparence magnifique dans le monde de faux culs que je dois subir. Tu imagines ce que tu représentes ?

Il n’eut pas le temps de répondre. Deux hommes s’approchaient du banc où il devisait richement avec Brigitte. Il connaissait l’un d’entre eux, le gris du complet et du crâne qui lui avait décrit les effets primaires et secondaires de ses médicaments.

– Monsieur Pierlot, nous sommes désolés d’interrompre votre tête à tête. Et ne nous traitez pas d’emmerdeurs puants une nouvelle fois, vous pourriez le regretter.

Grisoune brandit furtivement une carte officielle. Son acolyte pareil.

– Service de la Protection Intérieure du Territoire. Nous vous demandons de bien vouloir nous suivre. Sans résistance ou esclandre…

Gérard, un peu tard, remarqua, chez ses deux interlocuteurs, une bosse en dessous de leurs vestons, à droite. Un truc avec calibre et manche, dans un baudrier, qui pourrait réaliser des perforations désagréables…

– Vous venez aussi, Brigitte.

– Mais…

– Vous savez très bien pourquoi…

(à suivre)

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