CLAQUEMENT   Pas facile de disparaître sur un claquement de doigt, comme ça. Brigitte en sait quelque chose. A se demander si elle ne porterait pas des moufles… Ce qui n’est pas le cas de Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti pour taper sur leurs claviers respectifs.

65.

Partir un jour, sans retour, en ayant mis les clés de la boîte aux lettres dans la boîte aux lettres.

A force de vendre des bobards, Gérard se flattait de les détecter chez les autres. Il ne pouvait l’expliquer mais son instinct se montrait sans appel. Louis-Marcel Thulle mentait comme un arracheur de dents. Celles qui lui restaient, du moins. Il s’était mis à table, d’accord, cela sonnait juste, pourtant, cependant, Gérard subodorait une couille entre le fromage et le dessert.

– Il a un regard qui fuit… répétait-il à Charles. Je pressens le sournois.
– Et moi des emmerdes de plus en plus fourbes au fur et à mesure qu’on ne le livre pas aux flics…
– Je ne peux pas me permettre de le relâcher dans la nature sans des aveux complets.
– OH ! Tu n’as pas fait un stage chez Pinochet avec Bac plus 6, option tortionnaire avec Papi Le Pen !  s’emporta Charles. Tu débranches la gégène, là! On le rapporte, le Thulle, chez De Weinbrouck, la mine contrite, péteux d’avoir outrepassé nos rôles de civils… Tu prends ce que tu prends, je viendrai t’apporter des oranges, je te les éplucherai au parloir tellement que je suis gentil, et on arrête là les conneries.
– Je te dis qu’il n’a pas tout dit ce qu’il devait dire si on avait mis tout en route pour qu’il le dise.
– Il a craché les morceaux…
– Il lui en reste un, coincé dans les canines.

Gérard tournait en boucle son vinaigre comme un cornichon derviche tourneur dans son bocal. Il n’en démordrait pas, Charles le supputait.

– Ok, finit-il par trancher. Je m’en charge. Toi, tu ne t’approches plus de lui. Nous n’avons qu’un seul meurtrier sous la main, on ne va pas allonger la liste…
– Toi, tu vas le faire parler ?
– Ouaip…
– J’aimerais bien voir ça.
– Justement, tu ne verras rien. C’est entre lui et moi… Tu restes là, tu admires les montagnes, tu comptes les marmottes, cela te manquait. Je reviens.

Une heure mobilisa la petite et la grande aiguille au cadran de la montre portée par Gérard. Le temps s’étira telle de la pâte à pain bourrée de gluten quand on «patiente». Gérard rongea tellement son frein qu’il ressemblait à un cure-dent à la 58e minute.
Charles ressortit.
Aucun bruit de voix, de coups, d’instruments n’avait troublé les alpages. Les mains dans les poches, Charles dénombra les brindilles herbeuses dans la prairie en face du chalet.

– Tu avais raison… confirma-t-il. Cela m’emmerde de le reconnaître. Il nous cachait un truc, Thulle.
– Il t’a sorti quoi ?
– Ce qui va nous permettre d’en finir avec cette pantalonnade.
– IL T’A SORTI QUOI ?
– Il va se confesser lui-même.

Brigitte se contint. Elle referma la porte du frigo. Elle prit quelques inspirations, expira, apaisa les battements de son cœur qui partait dans un solo de batterie à rendre jaloux Terry Bozzio (liste des titres sur demande). Elle ne pesta pas. L’agence spécialisée, en cas d’extrême nécessité, lui avait laissé un numéro d’urgence. Devant la petite bicoque, Brigitte arpenta le terrain, les semelles foulant quelques herbes folles. Le smartphone brandit au-dessus de sa tête, elle chercha un réseau assez puissant pour totaliser plus qu’une barre. Bien des errements plus tard, et dans une position incongrue qu’il serait déplacé de vous décrire, Brigitte obtint une communication. A la standardiste qui décrocha, elle fournit un code l’identifiant. Le responsable de son dossier finit au bout du fil.

– Je serai brève. Je vous ai payé une blinde, vous vous êtes planté, vous avez un jour pour trouver une solution.

Elle rebroussa chemin, ouvrit à nouveau le frigo, extirpa entre les membres découpés, une bouteille fraîche de Coca Light. Arracha des glaçons au freezer. But enfin.
Le sang froid, la raison gardée. La vieille Brigitte s’étiolait dans un appartement cossu où elle avait laissé son passé. Elle répondait «présent» à l’appel d’un futur différent.
A cette pensée, elle rota ses bulles.

L’air pur des Alpes creuse les estomacs et facilite la parole spontanée. Thulle, hagard, blanc, tremblant des rotules, accoucha d’aveux cette fois complets.

– J’ai, j’ai oublié un léger détail, concéda-t-il.
– Je m’en doutais un peu… trouva intéressant de proférer Gérard à ce moment-là.
– Si tu la ramènes tout le temps, comme ça, il va se bloquer et je devrai recommencer tout le boulot.

Thulle se blanchit comme un suaire.

– Non, non, non ! (il fixa, hagard, Gérard) Vous, vous, c’était déjà fort… Mais lui, LUI, vous me l’éloignez de moi. C’est un malade !!!!
– Tu lui as fait quoi ? s’enquit Gérard
– C’est entre lui et moi… (reprenant ses esprits, revenant vers Thulle) C’est quoi, le détail ?
– J’ai été un peu aidé… Je ne suis pas très manuel, dans mon genre.
– Je ne vois pas le rapport, s’impatienta Gérard.
– La découpe des cadavres, vous comprenez, je m’y prends très mal. Je suis un nul du hachoir ou de la scie. J’ai pris un disciple qui m’a aidé. Quelqu’un qui ne pouvait pas voir Olivier Vaucresson, ne s’estimant jamais assez payé…
– Qui ?
– C’est le problème ! Je ne sais jamais si c’est Pong Ping ou Ping Pong. Enfin, l’un des deux m’a donné un sacré coup de main.
– Et ?
– Il sait aussi où est Brigitte…
– COMMENT ?
– Lorsqu’on a joué à l’enlèvement depuis l’hôpital psy, je lui ai injecté une puce. On la géolocalise facile !

(à suivre…)

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