MASSACRANTE Un commissaire voit ses suspects déserter les alentours. Ce qui le met dans une humeur massacrante. Il en bout d’impatience… Quant aux autres, ils se débrouillent avec leurs casseroles. Ce qui vaut une chute sonore à ce chapitre…
64.
Comme le déclare mon plombier : le salut réside dans la fuite.
De Weinbrouck était d’une humeur de dogue allemand qui aurait appris que sa chihuahua le trompait depuis des mois avec le lévrier afghan du coin, plus parce qu’il était afghan que parce qu’il était lévrier.
En quelques heures, l’affaire des corps mutilés avait vu s’égailler dans la nature tous ses protagonistes. Brigitte veuve Vaucresson, Gérard Pierlot et Louis-Marcel Thulle : envolés. Et aucune piste pour mettre le grappin dessus.
Les portables de ce petit monde étaient visiblement éteints. De Weinbrouck avait mis l’opérateur téléphonique en demeure de lui signaler immédiatement toute connexion. Mais rien n’était venu de ce côté-là.
Les barrages avaient fini par être levés, les différentes gendarmeries ayant d’autres choses à faire de leurs saintes journées et de leurs douces nuits.
L’institut médico-légal s’était peuplé de morceaux de corps qu’il était impossible d’attribuer à qui que ce soit, à part la tête d’Olivier Vaucresson ! Le frigo de Louis-Marcel Thulle avait été évacué, la scientifique était allée relever Ping et Pong de leurs rôles de gardien d’immeuble et récupérer le contenu de la baignoire.
Les jumeaux s’étaient émus auprès des experts du paiement de leurs gages. Devant leur insistance, les gars avaient envoyé rebondir Pong et Ping, en leur expliquant plus ou moins délicatement que ce n’était pas leur problème.
Agnès était venue quelques minutes au bureau. Mais devant l’état de nervosité de son chef, elle avait décidé d’aller pleurer un arrière-grand-oncle qui n’avait pas réussi à franchir la barre des cent ans à quelques heures près. Un accident malheureux : il avait avalé de travers une perle en gobant une huître. Mort ridicule, inopinée, inattendue, bienvenue… Réelle ? Enfin, soit, Agnès était repartie.
Là-haut dans la montagne, Louis-Marcel Thulle, après avoir craché la plupart de ses dents, avait fini par desserrer ce qui lui restait de quenottes et à cracher le morceau. Il avait avoué le pacte passé avec Brigitte. Le découpage de Vaucresson. La mise en scène macabre dans l’horlogerie familiale. L’éparpillement des bribes de corps qui émanaient d’un laboratoire milanais. Gérard avait tenté de savoir où se trouvaient les autres restes d’Olivier Vaucresson, mais sa persuasion avait été tempérée par Charles juste avant que Pierlot ne s’en prenne aux génitoires ridicules du Président-Dieu avec un tire-bouchon.
Charles essayait de convaincre Gérard de livrer Louis-Marcel Thulle aux autorités. Il lui expliquait que, de toute façon, il n’avait rien à se reprocher et que la justice devrait le laisser tranquille. Pour autant que le rapt du divin ne se poursuive pas pendant plusieurs jours. Il avait bel et bien tiré sur Thulle, mais c’était de la légitime défense. Donc, ça pouvait s’arranger.
Mais Gérard avait encore un œuf à peler avec son otage. Il voulait qu’il lui dise ce qu’était devenue Brigitte. L’interrogatoire sur ce sujet aboutissait toujours dans une impasse. Soit le supplicié ne savait pas, soit il ne pouvait rien dire. La première option semblait la bonne pour Charles, vu la teneur des sévices infligés par son ami.
Une bicoque avec vue sur la mer. C’était là que le chauffeur de Brigitte avait amené la fugitive. Il ne s’agissait pas d’une villa, juste un cube de briques avec un toit en tuiles rouges. Il l’avait assurée que le village voisin était à plusieurs bornes par les petites routes qui serpentaient le long des falaises. Personne ne passait jamais par là. Il s’était mis en cheville avec un gars du milieu qui habitait dans le coin et qui servirait de livreur afin que Brigitte ne manque de rien. Mais elle n’avait besoin de rien, juste d’être loin de tout ça. De Thulle, de Pierlot et de la tête de Vaucresson. De l’hôpital psychiatrique, du commissariat de police. De son appartement cossu rempli des horreurs de sa vie de femme. Un jour, quand elle aurait le courage, dès qu’elle aurait fait repartir son existence, elle irait récupérer ses enfants chez Tante Élise. Mais elle ne pouvait pas s’encombrer d’eux dans sa fuite. Cependant, elle y pensait beaucoup et il lui tardait de les retrouver.
Le chauffeur prit congé. L’assura que le ravitaillement suivrait, mais qu’il y avait déjà tout ce qu’il fallait pour tenir huit jours. Brigitte commença la visite des lieux. Une petite chambre à coucher : un lit, une armoire. Un coin douche et toilette traditionnel avec l’immanquable bidet. Une cuisine qui faisait salle à manger. Un four à micro-ondes, une plaque de cuisson, un évier, une table, deux chaises, un buffet qui occupait le mur aveugle qui séparait cette pièce de la chambre à coucher, un réfrigérateur.
Elle se déshabilla. Posa ses vêtements sur le lit. Prit une douche. Se sécha avec les serviettes de bain disposées à proximité. Déambula nue quelques minutes. Eut soif. Empoigna un verre qui avait dû être dijonnais dans une vie antérieure. Voulut voir ce que le frigo contenait comme boissons rafraîchissantes : un buste, deux jambes, deux bras et une étiquette imprimée en Arial 72 : «Olivier Vaucresson».
(à suivre…)