HACHE A l’heure hache, est-ce que le suspect se met à table (de nuit)? Un chapitre sur le fil de la lame et qui obtient quelques résultats au niveau des aveux. Par Joël Cerutti et/ou Ludovic Dabray.
61.
L’âme s’affute-t-elle au fil de l’esprit, s’il est là, et qu’il tape trois coups?
Un ami, un pote de toujours, il peut arriver chez vous, à n’importe quelle heure de la nuit, avec son paquet de linge sale. Sans broncher, vous mettez la lessive, l’adoucissant, la lingette qui empêche le mélange des couleurs, et le programme à 90 degrés se met à tourner. Aucun jugement sur les taches, les odeurs, vous ouvrez vos oreilles, vous lui laissez vider son sac.
Après, il existe certaines limites.
Dans le cas qui préoccupait l’ami Charles, il trouvait que son pote Gérard poussait le bouchon au-delà du raisonnable.
Sur le lit étroit, Louis-Marcel Thulle n’en menait pas large.
Il râlait, ensanglanté de la tête jusqu’au torse. Charles – sanitaire à l’armée – avait examiné Louis-Marcel Thulle. Le Siphonné se portait bien mieux que ses apparences.
Selon Gérard, le premier coup de feu l’avait superbement raté, l’agresseur semblant ignorer les notions de recul d’une arme à feu. Une lutte – entre deux protagonistes ignorant les basiques de la baston – s’en était suivie. Ne sachant trop comment s’y prendre, Gérard avait envoyé au jugé un coup de poing dans le sternum de son adversaire.
Le second coup de feu partit à l’insu de son plein gré, la balle entailla le front de Louis-Marcel Thulle. Qui tomba dans les vapes… Une entaille de ce calibre impressionne. Elle saigne abondamment, se répand sur le crâne, le front, la chemise, sans mettre en danger les jours du blessé.
Après la déflagration, il s’était posé en poupée de triste sire et poupée de vrai con. Une réflexion éclair suivie de pensées fulgurantes, Gérard décida d’embarquer Louis-Marcel Thulle.
Avant de le confier aux griffes du commissaire De Weinbrouck, Gérard voulait en avoir le cœur net. Il supputait du cambouis pas net sur les confessions du tueur en série… Il voulait de vraies confessions, pas celles qui se négociaient dans une salle d’interrogatoire avec un avocat, un baveux dont l’unique but est de laisser tourner le compteur de ses honoraires.
Gérard trouva une corde dans la cabane (celle où quelques jours plus tôt il enterrait ses ambitions littéraires).
Il attacha Louis-Marcel Thulle sur le matelas, serrant si fort que le taré n’était pas sans évoquer un cervelas, entouré de lard, avant de passer au barbecue.
Charles se tenait coi, n’approuvant pas la tournure des événements.
Gérard remplit d’eau glacée un pot en terre cuite dont il aspergea la face du ficelé. Il dut s’y reprendre à quatre fois avant que Louis-Marcel Thulle n’émerge, les pupilles vaseuses et les cils en berne.
– On reprend notre conversation ?
– Flgjkhghkkmd ?
– Moi aussi, je peux donner dans le borborygme et les consonnes…
– J’ai dit ce que j’avais à dire… siffla Louis-Marcel Thulle, sur les bords, voire au milieu, affaibli.
– Il y a des éléments qui ne cadrent pas…
– Gztkldsxy ?
– Je te crois dans le vol des cadavres et les pièces que tu sèmes un peu partout… Histoire de m’accabler après mes idées de campagne. Ce qui ne fonctionne pas, c’est le meurtre d’Olivier Vaucresson… Tu l’as peut-être découpé. Mais pas tué ! Regarde ta tronche de boy-scout puceau ! Tu nous la joues Fou de Dieu mais tu as trop de trouille pour trucider.
– J’AI TUE OLIVIER VAUCRESSON, JE SUIS SON ERADICATEUR ULTIME !!!
– Tu y crois ? sonda Gérard à Charles qui tirait la gueule devant le lit.
– Il joue le psychopathe comme un pied, voire deux. Attachés, cela va sans dire…
– Louis-Marcel, reprit Gérard. Tu te trouves en sursis, j’espère que tu en as conscience…
– Zthdsrwpwww ?
– Fais seulement l’andouille… Charles, tu pourrais me chercher la hache à côté du bûcher ?
– Pour ce genre de connerie, tu y vas toi-même.
Gérard revint deux minutes plus tard avec l’objet de son futur délit dans la main droite.
– Louis-Marcel Thulle, le mensonge mérite d’être découpé dans le vif !
– Tu n’en fais pas trop, là ? le tempéra Charles.
Son ami brandit la hache au-dessus du Saucissonné. Dehors, des zoziaux dans les sapins interprétaient leur symphonie en air majeur pour becs volages. Dedans, la lumière décomposait des particules de poussière. Un bel instant. Pouétiqueuh…
– LOUIS-MARCEL THULLE, METS-TOI A TABLE !!!!!!!
La lame s’abattit… et se planta… dans la table de nuit.
Louis-Marcel en pissa au lit de peur. Charles sursauta, s’interrogeant sur la façon dont il allait expliquer la démolition du meuble aux potes qui lui avaient prêté le petit chalet-cabane.
Louis Marcel se reprit. Il brava son tortionnaire par un puéril :
– Même pas peur…
– AH, TU VEUX LE GRAND JEU ?!!!
Hors de lui, Gérard se mit à donner du tranchant dans tous les sens. La lame éventra deux oreillers, quatre fois le matelas, démolit la seconde table de nuit (du côté droit) et la lampe de chevet. Puis, froidement calme, il lui prit le menton de Louis-Marcel, de sa main gauche et annonça :
– Là, je maîtrise. Imagine le geste malheureux… Tu as l’air du genre hypocondriaque douillet…
– ZTHSRRWPPPPPWWWW !!!!
– Alors crache !!!!
– C’est vrai ! C’est vrai ! Les cadavres, c’est moi. Olivier, j’ai juste débité. J’ai fait alliance !!!
– Avec qui ?
– Brigitte, sa femme… Elle n’en pouvait plus, elle voulait s’en débarrasser !
(à suivre…)