RING En trois chapitres, notre héros se fait draguer, part d’une crise que l’on pourrait croire cardiaque et se réveille… Ah oui, au fait, il se réveille où? Et croyez-nous, vous êtes encore dans la partie « calme » de Trappes, duel amical et littéraire entre Ludovic Dabray et Joël Cerutti. Ne comptez pas sur nous pour vous dévoiler qui a écrit quoi…

4.

Si le bonheur n’est pas dans sa loge, il est dans l’escalier.

Nauséeux, vaseux, comateux, cotonneux, Gérard émergeait de sa nuit.

Il ne pouvait pas se trouver entre deux eaux, il n’en buvait jamais !

Il tentait de quantifier dans un premier temps la durée de son sommeil. Mais l’affichage lumineux de son réveil ne projetait pas l’heure sur le plafond de sa chambre. Bien pratique, pourtant, ce cadeau que les Vaucresson lui avaient offert pour son anniversaire. L’engin devait coûter un centième du prix de la montre la moins onéreuse exposée dans les vitrines de l’horlogerie familiale. En panne ?

Puzzle dans sa mémoire, des pièces partout.

Le salon-living des Vaucresson se proposait en toile de fond tournoyante. Les murs et le sol tentaient de réinventer l’angle droit, sans succès.

Gérard empoigna le premier élément qui lui passait par l’esprit, en espérant que les autres s’enchaîneraient : un verre de vin rouge ! Ce n’était pas ça qui va l’aider à remonter le cours de l’histoire.

Il savait pertinemment que, pour être dans un état pareil, il devait en avoir éclusé un certain nombre. Et peut-être pas que ça.

Lors de la dernière soirée chez les Vaucresson, ils avaient servi un mauvais Champagne bio masqué par une boisson à l’abricot qui avait mis ses sens dans un état pas permis !

Mais impossible de se souvenir si ça avait encore été le cas hier.

Des éléments de tous ordres flottaient dans sa caboche. Il essayait de faire la part des rêves et des événements vécus.

Peine perdue, pour le moment.

Des bribes de conversation lui revenaient en mémoire.

Là aussi, c’était totalement confus.

Une histoire de chemin de Damas sur un air de valse hollandaise. N’importe quoi ! Souvenirs de croisière dans les Cyclades. Bains de mer enfantins en Turquie. Mais les Vaucresson prenaient leurs vacances annuelles à Tenerife.

Gérard inspira un grand coup dans le but d’évacuer, grâce à une lente expiration, un sentiment de stress, comme si une contrainte lui entravait les entrailles. Il dut oublier son intention lorsqu’il sentit une douleur poindre dans son flanc gauche. Il en était coutumier, s’en était inquiété, mais son médecin lui avait expliqué que ce n’était pas grave : névralgies intercostales.

Un grand coup de froid envahit son visage, comme si une brise venait de balayer sa chambre. Cette impression lui faisait revenir en mémoire la rambarde d’un balcon. Puis un sentiment de vertige, de chute tourbillonnante, comme un oiseau privé d’ailes.

Il voyait s’échapper une part de lui-même vers les profondeurs, mais son corps restait observateur, en altitude, agrippé des deux mains à la barre métallique qu’il enserrait.

À aucun moment, Gérard ne tenta de se lever ni même de modifier sa position dans le lit.

Brigitte et Olivier recevaient toujours le vendredi, donc nous étions samedi et il lui faudra bien toute la fin du week-end pour se remettre de sa biture monumentale : une chose à la fois.

Ensuite, il lui semblait qu’il faisait encore noir dehors, sa nuit avait été bien courte après de telles agapes !

Il repartait dans la béchamel de rêves désordonnés, comme s’il attendait que le lever du jour éclaire ses souvenirs. La proximité du visage de Brigitte finit par l’extraire une deuxième fois de son mauvais sommeil. Il lui semblait être encore plus dans le coaltar que lors de sa première émergence. Brigitte ? Que s’était-il passé avec Brigitte ?

– Ah « gnon », repensa-t-il, elle n’a pas fait ça ? La femme d’Olivier n’a pas profité de mon éthylisme pour s’offrir une galipette extra-conjugale. Pas avec moi, le meilleur ami de son mari !

Voilà pourquoi il ne pouvait pas lire l’heure au plafond, il n’était pas chez lui.

Les Vaucresson avaient dû le mettre aux plumes dans une chambre dite d’amis afin qu’il puisse dessaouler.

La texture des draps ne lui rappelait pas celle de son lit. Le matelas était bien plus ferme et plus étroit que le sien, il pouvait tâter le vide de part et d’autre de la couche sans tendre les bras.

Il parvint à reconstituer le début d’une étreinte avec la belle Brigitte. Il revit ses yeux violacés dardés dans les siens, intenses de conviction. Mais impossible de poursuivre le visionnage de cet extrait du film de la soirée. La pellicule était voilée dès que les mains de la sculpturale commençaient à explorer son corps. Il ne parvint pas à reconstituer la géographie anatomique de Brigitte, si ce n’était ce que tout homme imagine d’une femme qu’il n’avait jamais vue qu’habillée.

Depuis son premier réveil, Gérard respirait par la bouche avec une difficulté qu’il attribuait à sa position, couché sur le dos, mais il était bien incapable d’en changer sans la promesse d’une valdingue hors du lit trop étroit.

Son souffle était composé d’une alternance de grandes et profondes respirations qu’il échangeait contre un halètement dès que ses côtes se rappelaient à son douloureux souvenir.

Barres, points.

Le jour commençait à détourer l’encadrement de la fenêtre dépourvue de rideaux.

Le réveil sonnait : petits bips réguliers.

Gérard voulut arrêter l’engin.

Mais le signal s’interrompit de lui-même.

Une infirmière vert martien entra.

(à suivre)

Chapitres précédents:

Trappes (1)

Trappes (2)

Trappes (3)

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