TRAITEMENT INDIGESTE Pour soigner la boulimie-anorexie, les HUG utilisent une méthode des plus radicales. Le résultat ? Une patiente ressort avec un autre trouble alimentaire!
Laurence (*), personne ne la croit quand elle raconte ce qui lui est arrivé à l’Unité Psychiatrique Hospitalière Adulte (UPHA). Au XXIe siècle, dans les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), ses thérapeutes actuels ou sa famille se demandent comment on peut «soigner» ainsi une patiente. Laurence a souffert d’anorexie-boulimie. Ses parents décident de la placer au 5e étage des HUG, au cœur de l’UPHA. Laurence téléphone à sa Doctoresse en cheffe pour se renseigner. Va-t-on prendre ses troubles de comportement alimentaire au sérieux ? D’un ton «enjoué et hypocrite », elle s’entend répondre un «Vous verrez bien !». A peine arrivée à l’UPHA, ses affaires personnelles sont enfermées dans un placard. Elle peut garder ses basketts et ses culottes. Sinon, elle a juste le droit de porter une ignoble chemise de nuit informe.
Avant que j’entre dans ma chambre, on m’a enfin expliqué ce qui allait se passer
Durant un mois, son horizon se limite aux quatre murs de sa chambre, un lit et une table de nuit. «Avant que j’entre dans ma chambre, on m’a enfin expliqué ce qui allait se passer avec de jolis mots scientifiques. Le ton était très humain, le traitement ne l’était pas.»
Légume plus actif
Côté activités, un légume mène une existence plus active. Entre les repas et les prises de médicaments bien abrutissants, il n’y a rien. Ou si peu. La douche, pas très intime, se déroule sous le contrôle d’une surveillante qui pose des questions ineptes. «Je ne suis pas un machin qui se lave, mon corps ne se résume pas à un empilement d’atomes que l’on espionne», dit Laurence. Les besoins ? Ils se font sur une chaise percée dans la grande chambre. Laurence, qui se déplace avec des béquilles suite à un accident, doit toujours demander de l’aide. Le personnel examine ses selles devant elle. Et part ça ? 20 minutes de promenade en chaise roulante. Si elle se montre gentille, 20 minutes de lecture ou 20 minutes de mots croisés. Tout ceci pour éviter une «hyperactivité intellectuelle».
Ce programme m’a tué intérieurement
«J’avais une maladie où l’on se punit déjà soi-même, le cadre de soins ne doit pas être une punition où nous enlève tout : l’affection, le contact social… ». Lorsque Laurence essaie de contourner les règles – voler un stylo ou un magazine – les sanctions tombent. On lui interdit, par exemple, de se laver. « Ce programme m’a tué intérieurement. Pendant environ trois mois, j’ai dévoré la nourriture se présentant à moi, avec une peur sans fond. Après avoir souffert d’anorexie-boulimie, je découvrais pour la première fois l’hyperphagie !»
Aveux d’incompétence?
Laurence ne fait pas de son cas une généralité. Mais elle connaît quatre autres patientes qui s’en sont nettement moins bien tirés qu’elle. Dont une, à 29 ans, après deux passages à l’UPHA, se révèle un «véritable squelette sur pattes ». En janvier 2013, Laurence se décide à porter son cas devant la Commission de surveillance des professions de la santé et des droits du patient. Elle réclame des «excuses et aveux d’incompétences ». En guise de réponse, elle a reçu une lettre-type lui demandant «d’expliciter l’objet de sa plainte et d’indiquer quel(s) professionnel(s) de la santé ou institution(s) de la santé, elle souhaitait mettre en cause ». Tout était écrit précisément sur la lettre, mais la réalité devait être trop indigestes pour cette administration…
Joël Cerutti
(*) prénom d’emprunt mais identité, empreintes digitales, ADN connus de la rédaction
Méthodes de chochottes
Le traitement imposé à Laurence dans le cadre de sa maladie est-il courant ? En France, en Belgique ou au Québec, une longue exploration des forums ou des soins proposés nous montrent une autre façon de procéder. Face à la boulimie-anorexie, les établissements utilisent l’art-thérapie, le yoga, du thaï-chi ou du théâtre. Des méthodes de chochottes face à la légion étrangère médicale de l’UPHA ! Restait à savoir si cette thérapie musclée débouchait sur des résultats positifs auprès des personnes traitées. Une question posée aux HUG qui nous ont rétorqué qu’ils «ne rentrent jamais en matière sur un cas particulier».