LA JUSTICE A LES JETONS   A Genève, les petits jetons généreusement distribués par Narcisse Praz ont la forme de la pièce de vingt centimes. Très pratique pour les parcmètres. Frustrés dans ses finances, l’Etat riposte et convoque le trublion au Tribunal de Police. 

C’est la joie, l’euphorie. Genève rigole. Sur le pare-brise des bagnoles, on commence de trouver des sachets de pilules noires à la forme de la pièce de vingt centimes. C’est le délire. A Noël, je fais mieux: je distribue partout, dans les parkings, dans la rue, des sachets contenant cette fois — Noël oblige — des pilules multicolores. Ça vous chante Noël en bleu, en rouge, en vert, en jaune, en orange dans les parcmètres, que c’en est une liesse indescriptible.

Maigrets amateurs

La maréchaussée, naturellement, tente le coup, tend le piège: me proposer l’achat de pilules Et ils défilent chez moi, les provos de l’Hôtel de Police, les jeunes génies et les vieux plus ou moins géniaux, pour tenter de me faire vendre mes pilules. Piège déjoué, petits Maigrets amateurs: vous ne pourrez pas m’accuser d’escroquerie à I’Etat. Mes pilules, je les donne. Gratis et pro diavolo (faut pas trop me parler de pro deo, à moi : je suis sujet â l’urticaire!).

Ils ont repéré ma voiture et mes jetons noirs dans l’œil idiot du parcmètre.

Dès lors, il me reste plus qu’à attendre le moment où ils décideront de passer à l’attaque, frustrés qu’ils sont de n’avoir pu m’induire en la tentation de me faire du blé avec ces jetons que j’aurais pu vendre dix centimes au lieu de vingt centimes. C’eût été tout bénéfice pour tout le monde. Bernique ! Je ne marche pas dans la combine. J’ai décidé de faire échec aux parcmètres «à la loyale».

Et voici donc les deux flics en civil et les deux en uniforme et le videur de parcmètres, l’encaisseur du vol public autorisé, à l’œuvre pour l’inévitable constat. Devant ma boutique. Sous mes yeux. Ils ont repéré ma voiture et mes jetons noirs dans l’œil idiot du parcmètre.

Millions en danger

Et voici la convocation du Tribunal de Police. Pour corser l’affaire, il convoque du même coup un contractuel que j’aurais, parait-il, traité de vieux con! Tant qu’à faire, on lie les affaires. Au fait, cela était-il bien légal? N’était-ce pas jeter le discrédit sur mon action-parcmètre que de faire comparaître en même temps ce contractuel chatouilleux?

Et que l’on te me le condamne donc, ce petit anar hargneux! Et plus vite que ça!

Evidemment que si ! Mais il fallait à tout prix aboutir à une condamnation. N’est-ce pas? Dès lors, un peu plus ou un peu moins de légalité… Seul compte le résultat. Or une source de revenus, de l’Etat, l’ennemi public No. 1, est en danger: les millions des parcmètres! Dès lors, tous les moyens sont bons, Et que l’on te me le condamne donc, ce petit anar hargneux! Et plus vite que ça! D’abord, pour le vieux con, ça tourne très vite la confusion du plaignant: le mot «con» ne serait pas une injure dûment enregistrée au cadastre spécialisé. Ensuite, un témoin met en doute ses allégations. Et il l’a dans le baba, le vieux con! (On ose l’écrire, puisque ce n’est pas une injure ! D’ailleurs, au journal de midi sur Europe 1, Coluche s’en donne à cœur joie à propos de ce jugement: bravo, vive les cons, on est tous des cons, puisque ce n’est pas une Injure!).

Pilules récoltées

Mais les choses tournent au vinaigre quand on apporte deux gros sacs, hauts de quatre-vingts centimètres, transparents — mais oui, transparents, pour qu’on puisse apprécier! – contenant vingt cinq mille cinq cents pilules à parcmètres récoltées dans l’ensemble du territoire de Genève. Ah! Les vaches! Quelle discipline!

 Je venais d’avouer à Madame la juge vingt-cinq mille pilules fabriquées et distribuées gratuitement.

Et on dira encore que les genevois sont indisciplinés? Que les automobilistes sont indisciplinés? Et, qui pis est, qu’un automobiliste genevois c’est pire qu’un parisien? Disciplinés, vous dis-je! La preuve? Je venais d’avouer à Madame la juge vingt-cinq mille pilules fabriquées et distribuées gratuitement. Et voilà qu’on en a recensé vingt-cinq mille et cinq cents.

D’où la conclusion logique du Tribunal: vingt-cinq mille pour les automobilistes anonymes (les fameux A.A.) et cinq cents pour mon usage personnel ! Grave. Très grave. Il n’est que de regarder la face renfrognée des assesseurs pour s’en rendre compte. Il y a du Champ-Dollon dans l’air.

(à suivre…)

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