ANALYSE POINTUE Avec l’accord de PJ Investigations, nos confrères de l’1dex reprennent nos articles. Celui paru vendredi – concernant un sacré vice de forme dans l’affaire Légeret – a suscité cette analyse de Stéphane Riand. A notre tour de récupérer son pertinent papier! Et d’inciter nos confrères journalistes à le lire…
L’article de Patrick Nordmann, paru sur le site de PJ Investigations, repris le 29 août 2014 à L’1Dex, pose des questions juridiques remarquables. On souhaiterait que nos éminents juristes cantonaux, qui docteur en droit, qui master in law, qui juge-suppléant au Tribunal fédéral, qui rédacteur responsable de la Revue Valaisanne de Jurisprudence, qui juge à la retraite, qui grand avocat de l’establishment, de chez nous et d’ailleurs, se penche délicatement sur le problème soulevé par ce journaliste que l’on dit empêcheur de tourner en rond. Tous ces articles en devenir auraient le poids d’une thèse de doctorat si les auteurs n’avaient en eux cette force d’inertie qui impose le respect dès l’instant où elle permet à tous ceux qui sont aux commandes des institutions de rester en place.
Récusation obligatoire?
Quelle question simple pose en effet Patrick Nordmann ? Une question simple qui devrait intéresser tous les avocats, de Navarre et de chez nous : un magistrat peut-il siéger dans une autorité judiciaire d’appel ou de cassation dès l’instant où son conjoint ou compagnon de vie a siégé en première instance dans la Cour ou la Chambre qui a condamné l’accusé ?
On s’aperçoit déjà qu’il apparaît pratiquement douteux que l’on puisse tenir longtemps une telle position.
Dans le souci de plaire à l’institution, on va admettre ici – mais je suis trop doux, je le sais – qu’il ne s’agit pas d’un cas de récusation obligatoire, c’est-à-dire que le magistrat devant statuer en appel ou en cassation n’a(urait) pas l’obligation de se désister unilatéralement. Mais, ce faisant, par cette concession d’un instant, on s’aperçoit déjà qu’il apparaît pratiquement douteux que l’on puisse tenir longtemps une telle position. Mais qu’importe avançons dans notre hypothèse, notre cheminement et notre raisonnement.
Récusation facultative?
Se pose ensuite la question de la récusation facultative : le juge «incriminé», plus justement énoncé «récusable», doit-il se récuser ? Le problème soulevé par Patrick Nordmann est un peu différent dès l’instant où la relation «extraconjugale» n’est pas connue du prochain condamné qui ne sait donc pas qu’il peut user de la récusation facultative. En fait, il ne le saura que bien trop tardivement, soit après que l’instance de cassation aura statué sur son triste sort.
Chaque avocat suisse, un peu au fait de la chose pénale, se rend compte ici qu’un élément nouveau a surgi dans le débat.
L’affaire bouclée, le jugement exécutoire signifié et entré en force, l’accusé devenu condamné apprend que le magistrat de la Cour de cassation ou de la Cour d’appel est le compagnon de vie, le conjoint ou l’amant de l’un des magistrats qui appartenait à la première instance.
Chaque avocat suisse, un peu au fait de la chose pénale, se rend compte ici qu’un élément nouveau a surgi dans le débat. Un élément inconnu de lui au moment de l’envoi des écritures de recours ou d’appel. Cet avocat sait alors qu’il peut mettre en marche une procédure de révision qui se penchera sur l’invocation de ce nouveau grief : ce fait nouveau – incontestablement il s’agit d’un fait nouveau pour le condamné – devra être analysé par le Tribunal cantonal.
Un lit et deux tourtereaux
On verra alors pointer deux styles de jongleurs. Les premiers auront à cœur de prétendre que le fait de dormir dans le même lit ne dit encore rien des connivences éventuelles pouvant exister entre les deux tourtereaux. Les autres agiteront l’intimité nécessaire qui existe entre ceux qui se caressent à défaut d’œuvrer pour la justice. Ce péché de chair n’est pas une faute procédurale; le serait cet autre péché qui consisterait pour le premier magistrat à convaincre le second, statuant en cassation ou en appel, dans le lit ou ailleurs, de la véracité du premier jugement.
Faudra-t-il donc se fier à la parole des deux magistrats ? Ma réponse est clairement négative.
On dira ici que tout cela n’est guère prouvable puisque l’enregistrement des ébats n’existe pas. Faudra-t-il donc se fier à la parole des deux magistrats ? Ma réponse est clairement négative. En effet, dans le champ de la récusation, comme le sait tout juriste averti, la question n’est pas celle de la partialité des juges, mais de l’apparence d’impartialité. Entre ces deux notions se niche la certitude qu’aucun tribunal, vaudois, valaisan, de la Confédération ou de la CEDH ne pourra soutenir sans encourir la risée de tous que les deux magistrats amoureux n’auront pas eu cette qualité apparente vis-à-vis d’eux-mêmes de l’impartialité et de l’indépendance.
Descendre de leur piédestal
C’est à ce stade de leur déconfiture que les deux magistrats devront descendre de leur piédestal et avouer simplement que l’accusé, redevenu prévenu, donc présumé innocent, a droit à un autre procès.
Ces deux magistrats n’auront donc pas à payer les salaires de leurs collègues qui ont travaillé dans le vide.
On ne voudra pas tirer la plaisanterie jusqu’à vouloir exiger des deux tourtereaux de l’institution qu’ils aient à s’acquitter de tous les frais postérieurs à la première instance, leurs ébats ayant pourtant conduit à ce carnaval de justice. Ces deux magistrats n’auront donc pas à payer les salaires de leurs collègues qui ont travaillé dans le vide. Le citoyen-contribuable appréciera cette clémence suggérée ici à L’1Dex.
Patrick Nordmann tient ici un sacré bon filon de feuilleton. Peut-être devrait-il encourager ses confrères à l’assister : il y aura en effet bien assez de travail pour tout le monde.
Stéphane Riand