FUNI WOR(L)D (2)   Quand la façon d’annoncer l’arrivée des trains en gare trahit les classes sociales ! Tu ne l’avais pas remarqué? Pourtant, il suffit de se décrasser les tympans sur un quai de gare. Et tu comprends tout !

Tes oreilles entendent comme les miennes, ô camarades lecteurs. As-tu remarqué que l’annonce des trains reposait sur des disparités sociales ? Tu fronces les sourcils velus ou épilés ? Tu te dis que l’auteur – soit moi-même en personne –  déconne ? Je ne te permets pas cette familiarité!

Tends juste les ouïes, concentre-toi sur les décibels, les volumes, écoute un brin.

Un train INTERREGIO, les haut-parleurs, sur le quai de gare, te l’annoncent TOUJOURS. Incontournable, son arrivée en gare… Indispensable, son arrêt. Sa composition se met à poil, tu sais où se situent les premières ou deuxièmes classes, où elles stoppent leur course. L’INTERREGIO relie les grandes villes de Suisse romande. S’y mélangent ceux qui bossent dans la vie active. Les vrais de vrais de notre monde laborieux. Ceux qui savent que l’autoroute, les quatre roues, pour se pointer aux heures requises dans les agglomérations urbaines, cela relève du doux fantasme. Rien de tel que le transport en commun pour être singulier dans l’exactitude.

Ecoute-moi ! Ecoute mieux ce qui t’entoure !

Par contre, à l’opposé, le REGIO, lui, arrive en catimini. On ne sait que pouic que dalle de ses premières ou secondes classes. Il s’excuserait presque d’exister dans les horaires. Tu colles une mine dubitative sur ton faciès ? Tu pinces la bouche en cœur pétri par le doute ? Ecoute-moi ! Ecoute mieux ce qui t’entoure !

Tu peux pousser ton sonotone à fond les basses, aucune voix électronique pré enregistrée ne daigne signaler le proche arrêt d’un REGIO en gare. RIEN. Des nèfles sonores. Seul le silence le précède.

Pourtant, le REGIO circule à une cadence plus intense que l’INTERREGIO. Chaque trente minutes, en gros. Cette assiduité du rail ne reçoit aucune récompense des CFF. Le train déboule sur les quais dans une indifférence presque injurieuse.

Car le REGIO, lui, relie toutes les pissotières de ton canton.

Si tu te plantes au bout du quai, tu risquerais de le rater tant il se montre discret. Boycotté des annonces, il remplit caché son humble mission. Car le REGIO, lui, relie toutes les pissotières de ton canton. Il s’arrête PARTOUT. Au plus petit bled de la carte, il freine. Y montent celles et ceux qui, privés de volant, décident de miser sur lui pour relier un point A à un autre du genre B.

Y voyage une autre couche de la population. Des sans grades au profil plus « bas ». Les rares fois où le REGIO hérite des honneurs d’une annonce, c’est quand il faillit à sa mission d’exactitude. Il a rencontré des déboires techniques, le personnel technique a oublié de venir…

Etre pauvre, ignoré des grands, t’offre une maturité certaine.

Le REGIO avance sans esbrouffe. Les trois quarts du temps, il exige de la discipline au niveau des billets. Dans l’INTERREGIO, tu exhibes ton titre de transport à tous le coups. Côté REGIO, les contrôles se montrent aussi parcimonieux que les annonces en gare. Ton voyage repose sur la confiance. Comme si les nantis de l’INTERREGIO, eux, se montraient plus susceptibles de frauder. Mais si ! Voyager dans un convoi prolétaire, comme le REGIO, te responsabilise. Etre pauvre, ignoré des grands, t’offre une maturité certaine. Tu as conscience de ta vraie valeur. Loin des yeux officiels, proche du cœur de ta conscience. Moi, je dis…

Joël Cerutti

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