DVD… ANGEREUX « Merci Patron ! », une « comédie documentaire » se paie, dans tous les sens du terme et toutes ses largeurs, l’ami Bernard (Arnault), magnat du groupe LVMH. François Ruffin, du journal Fakir, y prend fait et cause pour la famille Klur dans une authentique saga aux rebondissements ahurissants. Avec de vrais personnages que la fiction aurait parfois du mal à inventer. César du meilleur documentaire, yeeeesssss!
Situons le groupe LVMH pour ceux qui se curent les dents, au fond de la classe, contre le radiateur. Dans la septantaine de sociétés cachées par ces quatre lettres se pressent Dior, Louis Vuitton, Moët & Chandon, Château d’Yquem, Guerlain, Givenchy, Kenzo et l’on va s’arrêter là car c’est un inventaire que n’aimerait pas Prévert. La tête de cette abondance de biens prend les traits de Bernard Arnault, deuxième fortune de France, avec 36 milliards de dollars. À 67 ans, personne ne lui apprend comment manier ses sous. Même s’il donne dans le grand luxe, il n’y a pas de petites économies. Vendre cher (oh oui!), produire le meilleur marché possible (oh oui, oh oui), tel est son credo. Après, l’air du temps de la conjoncture, la musique des marges, la partition des bénéfices ne connaissent plus de secrets. La symphonie dirigée par Arnault orchestre les mouvements: rachats d’entreprises, délocalisations, des milliers de personnes sur le carreau, avec la bénédiction de la classe politique, droite socialiste ou gauche libérale confondues.
Bande-annonce inédite :
Dans la masse des laissés pour solde de tous comptes et sur le carreau, « Merci Patron ! » nous permet de côtoyer Jocelyne, Serge et Jeremy Klur, à Poix-du-Nord. L’action de cette « comédie documentaire » – comme la définit son concepteur François Ruffin – démarre à un moment où Bernard Arnault frise l’impopularité.
En septembre 2012, il louchait sur une naturalisation belge. Pour payer moins d’impôts ? Meuh non, il garantit qu’on l’a mal compris, qu’il voulait « sanctuariser » son groupe pour des histoires de successions. N’empêche que la une de Libération – « Casse-toi riche con ! », il la digère dans le genre atrabilaire.
C’est à ce moment-là que les Klur lui rédigent une missive bien sentie où ils expliquent, à l’ami Bernard, la fosse septique qu’est devenu leur quotidien depuis qu’il les a lourdés. Ils se privent de nourriture, roulent quand ils peuvent mettre de l’essence dans le réservoir, renoncent à se chauffer car le mazout, c’est comme le pétrole, une goutte, ça coûte. Un huissier au cul leur réclame 25 585, 28 euros. Sinon, ils peuvent oublier d’avoir un toit. Serge Klur, parce qu’il l’a vu dans un épisode de « La Petite Maison dans la prairie », pense la détruire, sa villa.
Les extraits du DVD :
À Bernard Arnault, hop, ils lui réclament 35 672, 42 euros pour éponger leurs dettes. Si pas de réponse au 29 mai, ils lui garantissent un joyeux bordel aux « Journées particulières » des 15 et 16 juin 2013, devant ses magasins, « pour révéler à la presse la face cachée de LVMH ». Une manif que les Klur promettent aux côtés de leurs potes de la CGT, du journal Fakir ou « des élus de notre région ». Dès lors, « Merci Patron ! » ouvre une dimension surréaliste – et authentique – avec l’entrée en scène du Commissaire, un émissaire de LVMH. Les Klur, ce sont de braves gens qui accordent leur confiance à François Ruffin, rédacteur en chef de Fakir. Réagissant aux divers événements, il tisse une stratégie improvisée d’un machiavélisme absolu.
Motivations musclées
Une phrase, proférée par l’inénarrable Commissaire, synthétise involontairement l’esprit du film: « C’est les minorités agissantes qui font tout ». Catalyseur, parmi d’autres ingrédients, de « Nuit Debout », « Merci Patron ! » gagne de l’impact dans ce DVD. Deux carnets accompagnent cette édition, des textes qui confèrent des regards et des éclairages particuliers à la réalisation. Revigorant, énergisant, puissant, ce « sale » esprit si nécessaire démontre que le pot de terre peut parfois gagner contre les adeptes de la Dame de Fer. Avec ce qui se profile en France, ce qui se vit en Suisse, ces jubilatoires poussées de rigolades émues se savourent sans aucune frontière. L’humour de « Merci Patron ! » ne cache jamais les désespoirs sociaux dans lesquels nous propulsent des politiques sans aucune vision humaniste. Grave et léger, voici le tour de force de ce film qui muscle les motivations.
Joël Cerutti
PS : LVMH possède des liens avec Europe 1 et le journal Le Parisien… Ceci n’a pas été sans générer quelques problèmes d’éthique.
La censure du Parisien
« Merci Patron ! L’arnaque en version lutte des classes » – Éditions jour2fête et Fakir. Pas facile à trouver dans les grandes surfaces suisses – ben tiens – se commande allègrement chez les indépendants.
Sans oublier: http://www.fakirpresse.info/
PS: Le discours de Ruffin aux Césars 2017…