QU’IMPORTE LE BOUCHON… Verser les vins jeunes ou anciens dans une carafe ? Lesquels ? Comment s’y prendre au mieux ? Guide de l’après débouchonnage !
Il en va des vins comme, parfois, des relations humaines. Ces impertinents de jeunes peuvent être secoués, à savoir carafés. Les anciens, eux, méritent un décantage respectueux ou qu’on les laisse simplement tranquille.
Donc, carafe ou pas carafe ? Ce dilemme donne lieu à des querelles de chapelle. Les opposants pensent que « cela enlève la fraîcheur et le fruité », les partisans, selon André Dominé pensent que cela « libère les arômes ». « Je suis de cette dernière équipe, dit Christophe Bonvin directeur adjoint de 1858 Bonvin, tout ce que vous risquez, en décantant certains vins, c’est de leur faire du bien ! »
Comme vous lisez cet article, vous avez choisi votre camp : carafage. Après tout, depuis le XVIIIe siècle, cela se pratique sur toutes les bonnes tables. « Jadis, cela se faisait avec tous les vins pour leur enlever leur culotte et éliminer le polyphénol au bord du verre », renseigne Mike Favre, ancien président de l’Union suisse des œnologues.
Depuis, les traditions se nuancent.
Carafons à fond !
Lorsque vous transvasez le liquide dans une carafe, vous le réveillez ! Le vin s’aère et prend une sacrée goulée d’oxygène qui permet à un vin de « gagner en intensité voire en complexité », décrit Ophélie Neiman. L’air qui circule soudainement « stimule les molécules aromatiques » observe Pierre Casamayor et fait voyager votre breuvage dans le temps. Le nectar de raisin prend des rides soudaines. « Si les arômes semblent fermés, réduits, durs, le carafage les rend plus élégants et agréables », souligne Dominique Fornage de l’Ecole Nobilis du Vin.
Autre avantage, selon Enrico Bernardo – meilleur sommelier du monde – la carafe élimine les dépôts que l’on remarque de plus en plus dans les vins sans filtration fort en vogue depuis quelques années.
Lorsqu’il s’agit de cuvée légère – des rouges jeunes et charpentés – la littérature vous conseille de décanter entre une et deux heures avant de servir. Face à un vin puissant, certains préconisent six heures de carafe.
L’action même du « transvasage » doit être franche.
Ophélie Neiman suggère de s’y prendre comme si vous versiez du thé à la menthe. Vous savez, le genre bec très au-dessus de la tasse avec une chute marquée. « Si un jeune vin a le malheur d’avoir 100/100 au Parker, il faut le chahuter et encore bien secouer le liquide dans la carafe », renseigne Dominique Fornage. Avec ses élèves, Mike Favre a même turbiné du vin jeune au blender pour s’apercevoir, en dégustation, qu’il tenait toujours le coup !
Cette aération ne s’applique pas qu’aux rouges. Un blanc « bien gras » – vieilli en fût de chêne, « marqué par le bois » écrit Enrico Bernardo – comme un champagne millésimé pourraient aussi connaître les joies de la carafe. Mais, dans le cas du champagne, les écoles s’affrontent. « Je ne souhaite pas pousser systématiquement les dégustateurs à décanter un vin pétillant : on ne tombera pas tous les jours sur Dom Pérignon rosé 1978. » Pierre Casamayor s’oppose lui, formellement, à mettre un vieux champagne en carafe, il la réserve « pour les moins prestigieux ». Ultime atout du carafage : il élimine certaines mauvaises odeurs qui s’apparentent à des flatulences. « Dans certains milieux, on dit que le vin a alors un goût de chiottard », renseigne Paul Vetter, journaliste spécialisé. Lors de senteurs graves, au fond de la carafe, placez une pièce en cuivre propre.
En résumé, la carafe profite à tous nos vins suisses et jeunes, rouge ou blanc, exception faite du Chasselas (ou Fendant) voire de la Petite Arvine qui pourrait ne pas apprécier à sa juste valeur cette opération.
Décantons sans furie
A présent, mettez plus de sagesse dans le plaisir de boire avec des vins vieux qui affichent moins dix ou vingt ans sur leurs étiquettes.
Ici, fini le rude carafage, l’âge exige douceur et doigté. Faut-il obligatoirement décanter le vénérable millésime ? « C’est une idée désormais dépassée », affirme Enrico Bernardo, qui craint « d’aplatir le corps, la structure ».
« Face à ce genre de vin, et si je ne connais pas assez le millésime en question, je ne décante jamais par peur de le pulvériser ! », décrit Christophe Bonvin. « Si je me retrouve avec un Pinot Noir de 1970, je le goûte avant de décider de la suite », observe Mike Favre.
Evitez tout assassinat œnologique. Comment ? Faites passer la bouteille convoitée de la position horizontale à la verticale, ce qui envoie le dépôt vers le cul. Quelques dix minutes – une heure au maximum – avant de verser dans les verres, débouchez puis laissez couler le vin dans une carafe étroite à l’ouverture serrée. Durant l’acte, une bougie (ou un halogène) sous le goulot permet de repérer les traces noirâtres qui pourraient apparaître. A la première alerte, stoppez tout.
Durant le repas, la bouteille repose dans un panier verseur, à l’horizontale. Ce décantage concerne aussi les vins liquoreux, il enlève du souffre, et des menaces de migraine. Le vieux porto, avec 10 % de sédiments sur ses vieilles cuvées, se plie aux contraintes du décantage avec un filtre de gaze en bonus. Quelles que soient les carafes – « La Capitaine » à fond très large (côté jeunes) ou « La Canard » (côté ancien) – après usage, lavez-les avec de l’eau chaude et laissez-les sécher.
Tous les spécialistes interrogés se disent assez « fans » de la carafe, quelle que soit la nationalité de la bouteille. « Au restaurant, cela participe au plaisir des yeux, c’est une mise en scène que l’on fait plus souvent avec les vins français que suisses. Mais ce snobisme évolue », dit Christophe Bonvin.
Joël Cerutti
Références biographiques:
- « Le Vin » – Könemann – 2003
- « Le vin c’est pas sorcier » (Editions Marabout, septembre 2015).
- Les vins en 80 questions – Hachette – 2004
- « Savoir goûter le vin » (Editions Plon – 2005).